Vocabulaire des armes médiévales, un problème ?

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Modérateur : L'équipe des gentils modos

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percheval
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dim. janv. 06, 2013 4:49 pm

Travaillant depuis quelques années sur l'armement (médiéval en particulier) et fréquentant en parallèle le milieu de la reconstitution historique, je me suis toujours étonné du manque de connaissances réelles en matière de terminologie et d’étymologie de certains. ATTENTION ! Je ne critique pas, je constate simplement qu'internet et certains ouvrages de vulgarisation mettent tout le monde d'accord sur des terminologies très éloignées de celles de l'époque et je me demande humblement pourquoi. D'un certain point de vue sociologique, le poids du nombre donne une certaine légitimité historiographique, surtout quand ce vocabulaire est repris tel quel par des gens en master qui vont sur internet au lieu de consulter les travaux antérieurs... Cependant certains historiens et archéologues (Gaier, Buttin, etc.) ont depuis longtemps écrits des ouvrages assez bons, présentant des glossaires à partir des sources historiques qui n'ont pas toujours été repris. Donc avant d'écrire des stupidités dans ma thèse, je voudrai avoir l'avis de certains passionnés comme moi par l'armement médiéval : est-ce un désintérêt pour le vocabulaire historique ? Est-ce un manque d'accès à certains ouvrages ? Est-ce parce que le vocabulaire médiéval est trop complexe ? Est-ce du à la trop grande importance données à l'iconographie et non à l'archéologie et aux textes ?

Une petite question de fin de chapitre, merci...
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aurélien
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dim. janv. 06, 2013 5:08 pm

La réponse que tu cherches est dans la première phrase de ta remarque
Travaillant depuis quelques années sur l'armement (médiéval en particulier) et fréquentant en parallèle le milieu de la reconstitution historique, je me suis toujours étonné du manque de connaissances réelles en matière de terminologie et d’étymologie de certains.
Essaie de te reporter à ce que tu savais (ou croyais savoir) dans les trois premiers mois de tes travaux.

Gaier, Buttin (que je ne connais même pas), Mézier, etc.
Tu aurais été capable d'aller d'instinct vers leurs ouvrages ?

Je peux faire la même remarque au niveau culinaire. 99% des compagnies et associations qui proposent de la "cuisine médiévale" te le font avec des recettes bien bien réadaptées de ce que les médiévaux pouvaient connaitre. Et de ce que j'en sais, j'irai pas manger chez le 1% de compagnie qui te propose une cuisine médiévale full reconstituée, parce que mon goût de jeune péquenot du XXIe siècle ne supporte pas les saveurs âcres, acides qui étaient bien à la mode aux XIIe - XIVe (viande faisandée ? Vin titrant à 6-8° dont la seconde fermentation se fait dans ton estomac ? Non merci, je passe).

Après avoir longuement bossé sur un sujet, tu acquiers des connaissances qui te paraissent aller de soi (surtout toi qui, si je ne me trompe, fais en plus des AMHE). Alors que non, ça ne va pas de soi. Et la première chose qui pose problème à un XIIIèmiste voulant reconstituer au hasard bouvines ( :roi: ), c'est le vocabulaire employé : c'était quoi ces saloperies de couteaux à la lame triangulaire dont parlent les chroniqueurs, qu'on retrouve sur aucune enlu, et dont les Brabançons ont fait un large usage contre Philippe Auguste ? Comment différencier le cotello du coterello et de l'ensis ?

Autant de questions qui ne vont pas de soi du tout :)
Donc, je suis le premier à le dire : le vocabulaire des armes médiévales me pose problème.
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pierre al
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dim. janv. 06, 2013 5:28 pm

Honnètement, ce sont toutes ces raisons à la fois, et encore d'autres (réponse de prof, j'en suis conscient).

Plus sérieusement, je pense qu'on doit rapprocher ce souci de l'éternel problèmatique du patrimoine : souvent, il est plus plaisant de concrétiser ce qu'on pense que de faire ce qui est. Le vocabulaire n'échappe pas à cette règle. Pourquoi parler de harnois quand on peut se faire comprendre de tous en disant "armure de plates".

Aurélien le souligne, mais c'est pareil pour les AMHE. Beaucoup utilisent les termes sans savoir ou même avoir lu dessus.
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bellabre
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dim. janv. 06, 2013 5:40 pm

Il y a surtout le fait que la pratique de l'époque est rarement très précise dans la désignation d'un objet. Dans les Cahiers du Léopard d'Or avec Christianne Raynaud, elle a fait un article sur le vocabulaire des armes chez Eustache Deschamps, peut-être faut-il aller y jeter un coup d'oeil l'histoire de voir si un auteur faisait déjà lui même la différence. Qui honnêtement parmi nous sait faire la différence entre toutes les désignations d'armes modernes? Moi pas en tous les cas :)
Wilfried De Hohenstaufen
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dim. janv. 06, 2013 8:54 pm

bellabre a écrit : Qui honnêtement parmi nous sait faire la différence entre toutes les désignations d'armes modernes? Moi pas en tous les cas :)
Le parallèle est très intéressant : de nos jours, ceux qui en parlent le plus sont ceux qui en connaissent le moins (journalistes, romanciers...).
Plus rares qu'on ne le pense ceux qui savent faire la différence entre un fusil et une carabine, entre un pistolet et un revolver. Le récit des faits-divers n'est rempli que d'erreurs techniques, genre le chasseur qui a tiré un coup de 12 millimètres, et de bandits qui utilisent des 45 millimètres pour régler leurs comptes...

De nos jours, les dénominations des armes sont complexes mais normées. Au moyen-âge, y avait-il des normes arrêtées pour décrire chaque arme ?
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percheval
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lun. janv. 07, 2013 8:13 am

Je vous remercie pour vos réponses. En effet, constater les connaissances théoriques de l'auteur en matière d'armement est important. C'est d'ailleurs une question que j'aborde en début de chapitre. En effet, entre les sources judiciaires (lettre de rémission), les sources normatives (port d'armes, ordonnances des troupes, etc), les sources littéraires (chroniques) et les sources techniques (livres de combat), il est possible de faire des comparaisons fructueuses sur l'armement utilisé et sa dénomination.

Entre les vision administratives, professionnelle et commune de l'armement des parallèles se créent, alors certes c'est le bazar un peu comme aujourd'hui, surtout pour des armes générales (un glaive, un long couteau...) mais quand un paysans parle d'une langue de boeuf ou nous fait une description sommaire de l'arme on comprend que comme aujourd'hui, il y a différent niveaux d'intérêt.


Donc oui il y a des normes, non elles ne sont pas utilisées ou connues par tous, l'objectif n'est pas de refaire des classifications contemporaines, mais de comprendre celles (beaucoup plus large) de l'époque.
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deny de cornault
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lun. janv. 07, 2013 10:42 am

percheval a écrit : Donc oui il y a des normes, non elles ne sont pas utilisées ou connues par tous, l'objectif n'est pas de refaire des classifications contemporaines, mais de comprendre celles (beaucoup plus large) de l'époque.
les classifications de l'époque (époque de 1000 ans pour le MA, sur toute l'europe et au delà) sont peut-être justement un peu trop larges pour vraiment appeler ça une classification ? et donc un intérêt d'une classification contemporaine sera de permettre d'y voir plus clair

exemple connu de classification moderne et très utile, celle d'Oakeshott pour les épées de la fin du MA
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percheval
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lun. janv. 07, 2013 10:57 am

Evidemment, je parle pour ce que je connais : le royaume de France et l'Etat Bourguignon pour la période XIV-XVIe, en appuyant fort sur le XVe début XVI, Une période déjà très longue...

Quand je parle de classification, il ne s'agit pas de classification archéologique, mais surtout textuelle et éventuellement iconographique. Ce qui est intéressant avec les classifications comme celles d'Oakeshott, c'est que reportée à certaines armes il y a de quoi devenir dingue... tout le monde est d'accord sur la définition d'une épée, mais par exemple sur les armes d'hast et les couteaux, c'est déjà plus difficile...
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khosrau de samarkand
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lun. janv. 07, 2013 1:18 pm

Est ce que ce n'est pas aussi une volonté moderne de tout classifier ou catégoriser? Ils faisaient aussi peut être déjà à l'époque des "confusions" entre messer et dussack, rapière et épée, mails, marteaux et haches... De ce que j'en ai vu, je pense que ce genre d'appellations "génériques" existait.

Le fait de vouloir à tout prix différencier des types et des sous-types, ça me parait très moderne... Après il y a les classifications archéologiques, basée sur des critères relativement précis, et des classifications "rôlistes" (hache noble, hache de bataille, hache de guerre, hache viking, à lancer, etc...), basé sur des D6...
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agarwaen
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lun. janv. 07, 2013 3:52 pm

Il y a probablement une certaine variabilité lexicale qui ne retrace pas nécessairement des différences d'usages. Si aujourd'hui je parle d'un couteau en l'appelant surin, lame ou eustache, je parle bien du même couteau, et mon usage du terme surin (par exemple) ne se distingue de mon usage de couteau que par sa connotation familière. Par contre, il se distingue probablement bien de son usage par un apache de 1880 ou par un détenu à la Santé aujourd'hui même.
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bellabre
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lun. janv. 07, 2013 9:51 pm

Chez Deschamps on a pour l'écu les équivalents "taloche" "tavelas" "escu"
Pour la cote de maille: "haubergeon" "borgne" "broigne"
harnois: 'hernois", "harnais", "harnoiz", "harnois", "harnoys entier", "harnois cloués comme pleins", "armure d'épreuve", "faucre","arrêt de lance"
"solers", "harnois de jambes", "braconnières", "gantelets", "gardebras", "lammière", "ventrières", "cotte acerée", "cotte de fer vêtus", "camail", heaume, "bacinet", "cotelles"...
"Jacques", "jasserans", "pourpoins"...

pour les armes:

"glaive" "baton" => génériques, qualifiés parfois "esmoulu"
épée de "clermont ou bordeaux" (cocorico!)
"coustiaux"
"fauchons" "coustel"
"estoc"
"espaphus"
"dague" (de Bordeaux parfois!)
"aùemme""grefes" (poignards, stylets)
"lance" " glaive" "guisarmes" "fauchards" "faussars, faulx tranchants"
"couteaux de Lombardie"
"rasoirs" "goudendars" "picons" "baston" "baistel" "bille" "crique" "baton de villain" "bastonceaulx", "bourdon acéré" "croquespoys" "corquepois" "baton à croc de fer" "pel" "besague"...

bref je vous passe les détails. Je doute que beaucoup d'entre nous aient jamais entendu parler de toutes les armes citées....
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medieviste
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mar. janv. 08, 2013 8:20 pm

Même constat, oui, et ça va loin : trois exemples bêtes :
- je milite pour l'abandon du terme "cotte de mailles" qui est totalement moderne et qui n'a jamais existé à l'époque, en plus d'être un non-sens total. Coup de bâtarde dans l'eau...
- hop transition subtile : le terme de "bâtarde" est également totalement faux, un autre non-sens sur lequel ¨Pierre Al a mis le doigt il y a déjà longtemps. Remuer la dague dans la plaie...
- hop transition habile derechef : Philippe le Rouge a mis le doigt sur la différence entre "dague" et "poignard", pourtant combien d'entre nous respectent ces terminologies pourtant si simples ?

Voilà un constat : le vocabulaire actuel ne reflète absolument pas (ou rarement du moins) la réalité du vocabulaire médiéval.

Autre constat : je fréquente le milieu des couteliers : ben si vous saviez tous les termes techniques, tous les noms de couteaux (y a des centaines de "familles" de couteaux selon la taille, la forme, l'acier employé, et j'en passe. Je ne connais pas le centième des termes, et pire, le client pourtant passionné de couteaux qui va acheter tel couteau chez un coutelier de renom... appellera ça un couteau.
Au mieux il fera le distingo entre un brut de forge, un damas, ou un pliant, tout au plus. Mais les vrais termes techniques lui passeront à 1000 lieues au-dessus de la tête.

Est-ce risqué de faire le même parallèle avec un fabriquant d'épée médiéval et son chevalier de client ???
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le furet
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jeu. janv. 10, 2013 2:14 am

Vocabulaire qui en plus évolue, dont le sens glisse d'époques en époque... sur des objets différents !
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