Résistance des mailles historiques face à la dague.

L'escrime à l'usage du sport et de la guerre !

Modérateur : L'équipe des gentils modos

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medieviste
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sam. mars 17, 2012 2:41 pm

Je poste le sujet ici aussi car il me semble plutôt utile pour les pratiquants d'AMHE afin de compléter la vision globale de l'efficacité des armes mais aussi des armures médiévales.

Après des années de recherches laborieuses d’un artisan capable de me fabriquer des mailles histo-correctes, j’ai enfin trouvé il y a un peu plus d’un an un « rival » d’Erik D Schmid (dont je doute fort de voir un jour arriver le haubert que je lui ai commandé il y a près de 9 ans)

Il ne s’agit là que de l’avant-garde d’une série de tests que je compte réaliser sur des mailles de qualité historique : je testerai l’arbalète, l’arc, l’épée, la lance, le tranchant… Cependant, n’ayant pour le moment que des moufles de mailles (1600 mailles par moufle, quand même !) je ne peux raisonnablement pas faire tous les tests sur une surface aussi petite.
Le haubert est sensé être terminé d’ici fin 2012, si tout va bien.

Voici donc le premier test : comment se comporte une armure de mailles face à un coup d’estoc d’une dague.
D’un côté, l’armure de mailles : section des mailles : 8 mm de diamètre intérieur, épaisseur du fil 1,3 mm, section ronde. Rivets en coin, chevauchement historique « en tête de serpent », fil de fer recuit. Une maille sur deux est rivetée, et une maille sur deux est emboutie (même section de fil, même diamètre, même qualité). L’armure de mailles en question est présentée ici : viewtopic.php?f=9&t=9633&start=15 tout en bas de la page.
Pour les fins observateurs, elle est maintenant noire car le fabricant l’a traitée contre la rouille : j’ai pas tout compris, mais apparemment il la fait chauffer au rouge et la plonge dans de l’huile et renouvelle l’opération plusieurs fois. Au final elle apparaît noircie et théoriquement ne rouille plus.

De l’autre côté la dague : acier damassé feuilleté de plus de 550 couches, 33 cm de longueur de lame, 3,5 cm d’épaisseur au talon, arête médiane, forgée par Gaël Fabre et réaffutée par ses soins dix jours avant le test.
http://a21.idata.over-blog.com/2/73/47/ ... e-5659.jpg

Pour sortir des tests souvent mal réalisés vu dans le passé (mailles posées à même une planche de bois par exemple) j’ai posé l’armure de mailles sur sept couches de laine superposées pour imiter à la fois un gambeson léger et la peau humaine. En dessous, plutôt que de mettre directement une planche de bois, bien trop dure pour représenter objectivement un corps humain, j’ai superposé six couches de carton épais d’emballage, solidement scotchées ensemble pour assurer une rigidité inférieure à du bois mais supérieure à un corps humain.
Le tout est cloué contre une poutre de bois d’une charpente de grange à hauteur du ventre, pour faciliter au maximum un coup direct puissant.
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Lors du test, j’ai frappé trois fois, en augmentant progressivement la force des coups :

Test 1 :
Coup puissant d’une seule main.
Le coup est stoppé net par les mailles. La pointe ne que de 3 mm de l’autre côté des mailles.
Photo :
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Vidéo : http://youtu.be/tmrR-8gysBI

Test 2 :
Coup puissant des deux mains.
Le coup, une fois de plus, est stoppé net par la maille. La pointe s’est toutefois enfoncée légèrement plus dans le tissu, perçant les deux premières couches de tissu.
L’anneau s’est à peine déformé, ce qui a permis à la pointe de la dague de pénétrer à peine plus dans la maille.
Photo :
Image
Vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=H9uV8A1H ... e=youtu.be

Test 3 :
Cette fois, je frappe des deux mains en utilisant tout le poids du corps depuis la hanche.
La dague pénètre plus profondément, 1,2 cm exactement. Elle perce cinq épaisseurs de tissu, mais n’atteint toujours pas le carton. La maille qui a pris le choc est entrouverte : le rivet n’a pas totalement sauté, il s’est étiré, j’ai d’ailleurs pu le remettre en place après coup sans effort avec une pince adéquate. La maille s’est déformée sous l’impact, formant du coup un ovale.
Photos :
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Vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=C_kL7l-2 ... e=youtu.be

Le point le plus surprenant est que la maille n’a pas souffert du tranchant de la dague, pourtant réaffutée par Gaël Fabre (qui connaît son métier !) dix jours auparavant. Or, la dague, équipée de deux tranchants, est sensée entailler au moins partiellement le fil de la maille.

Autocritique :
Six couches de carton, sept couches de laine, et une poutre de grange se sont pas un corps humain recouvert d’un gambeson léger, en train de se déplacer en plein combat.
Je ne suis pas un expert en arts martiaux autant que certains ici peuvent l’être.
Cependant je me débrouille, et planter une dague ne demande pas une technique exceptionnelle. Certains auraient probablement pu frapper plus fort que moi, c’est un fait. J’ai donc choisi d’optimiser le coup de dague en plaçant la cible à la hauteur la plus directe pour un coup. J’ai frappé des deux mains (je ne me rappelle pas avoir déjà vu des techniques d’AMHE où il est question de frapper à la dague des deux mains…Mais comme dit, je n’ai pas étudié tous les manuels, loin de là !). On peut estimer que 90 % des coups de dague se font à une seule main.

La poutre soutient une grange entière, elle ne bouge donc pas d’un dixième de millimètre, contrairement à un corps humain qui, en encaissant le coup, recule de plusieurs centimètres minimum. C’est donc plus proche d’un test de mise à mort d’un homme couché sur le sol, dont le corps ne peut bouger.

Enfin, j’ai frappé à chaque fois (coup de chance !) sur une seule maille, et qui plus est une maille rivetée, pas une maille emboutie (plus solide) ! La force du coup est donc à 100 % sur une seule maille rivetée, donc l’impact est plus important que si la dague avait frappé soit sur une maille pleine, soit sur deux mailles ensemble.

Bilan : on peut donc établir qu’un coup d’estoc porté par une dague de combat à section diamantée parfaitement aiguisée et pointue n’est pas à même de percer une armure de mailles de qualité moyenne du XIIe ou XIIIe siècle. Potentiellement elle ne parvient même pas jusqu’à la chair d’un homme portant un petit gambeson de 5-6 couches de laine. En revanche, il est plus que probable que le choc est à même de casser une côte, ou de faire des dégâts à un organe interne.
Un fait important à souligner : les mailles n’ont pas souffert des tranchants de la dague : là-dessus, j’aurais tendance à supposer qu’une section ronde ou lenticulaire offre moins d’adhérence au fil d’une lame qu’une maille plate, dont la section comporte des angles, plus à même d’être entaillés par un tranchant.
A moins que cela ne vienne tout simplement de la qualité du fil de fer ? Je ferai le même test prochainement sur une moufle de mailles rivetée à section carrée (pas plate, carrée !) du même fabricant, pour comparer.
D’ailleurs si vous avez des suggestions pour améliorer le test, ou même le faire différemment, profitez-en ! Ca sera l’occasion !

Enfin à titre de comparaison, j’ai fait le même test sur une maille rivetée indienne, mailles plates, rivets en coin, 9 mm de diamètre intérieur.
J’ai frappé d’une seule main (même force que le test1) et la dague s’est plantée totalement dans l’ensemble maille-tissu-carton, la pointe ayant fini plantée de deux petits millimètres dans la poutre de bois.
A noter que le choc était réparti cette fois sur deux mailles enlacée, l’une des deux a été coupée net en deux, le rivet a sauté sous le choc, et l’autre a été coupée juste sur un côté.

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La différence de qualité est donc énorme entre les mailles industrielles modernes et les mailles médiévales : non seulement la qualité du rivetage, mais aussi la qualité du matériau employé, sans oublier la section.
Mais ceci n’était –j’espère- plus à démontrer !

Voilà à quoi s’occupe l’ami Médiéviste pendant ses courts week-ends entre deux pestacles !
A vos p’tit commentaires !
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pierre al
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sam. mars 17, 2012 4:43 pm

Test interessant.

Cela dit, on a tellement peu (pas) de sources martiales précises sur les AM d'avant le I.33 en occident qu'on en est réduit a la spéculation. Et la spéculation peut s'appuyer sur les sources plus tardives qui montrent assez bien qu'on frappe généralement la chair nue avec une dague.

A quand le test avec une lame a section triangulaire ?
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bellabre
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sam. mars 17, 2012 6:29 pm

Très bon début en tout cas!
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medieviste
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sam. mars 17, 2012 8:27 pm

pierre al a écrit :A quand le test avec une lame a section triangulaire ?
J'ai pas de dague à rouelle, je ne donne pas dans la Science Fiction futuriste du XVe, moi, môssieur ! :D

Plus sérieusement, si l'occasion se présente de faire le test avec une dague à rouelle, je suis partant ! Au pire ça représente une maille sur 1400 environ ! Ca se remplace aisément !

Quant au test, ça démontre toutefois que l'imagerie martiale de mémé à skis n'est pas réaliste, puisqu'il y a des cavaliers en haubert dont on fait jaillir trippes et boyaux avec un coup de dague tenue à une main.
D'autant plus qu'au milieu du XIIIe, la plupart des "dagues" sont en fait encore des poignards, donc avec un seul tranchant, la possibilité de sectionner le fil est donc deux fois moindre.

Vu le résultat du test, il est clair qu'en armure de mailles, une dague n'est pas faite pour percer la maille, mais pour viser les défauts : visage, entrejambes, poignets.

Pour le reste, la dague reste une arme de self defense médiévale ustilisée face à des types dépourvus de la moindre armure, dans des combats de taverne, rixes, bagarres, et autres vols ! Et là, elle rentre toute seule ! :p
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bellabre
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sam. mars 17, 2012 8:44 pm

Franchement, si tu poursuis avec ce sérieux, c'est très interessant. Faudra voir aussi si les sections différentes sont aussi damassées :)
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pierre al
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sam. mars 17, 2012 9:23 pm

Quant au test, ça démontre toutefois que l'imagerie martiale de mémé à skis n'est pas réaliste, puisqu'il y a des cavaliers en haubert dont on fait jaillir trippes et boyaux avec un coup de dague tenue à une main.
J'aurais eu tendance a dire que les codes graphiques de l'époque n'ont de toute façon pas l'ambition de retranscrire la réalité, donc la question ne se posait pas vraiment pour moi :)
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medieviste
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sam. mars 17, 2012 9:40 pm

On est d'accord !

Prochains tests : arc, arbalète, estoc d'épée.
Mais pour ça, faut attendre fin 2012 que je reçoive le haubert, ce genre de tests ne peut décemment être réalisé sur une pièce aussi petite qu'une moufle de mailles.
Faut s'armer de patience. Mais ça fait rien moins que 9 ans que j'attends un tel haubert, donc je pense que je peux attendre encore quelques mois !
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tancrède 2
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lun. mars 19, 2012 4:32 pm

Très intéressant! Merci pour le test et le partage les résultats.
sergentdarmes
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dim. mars 25, 2012 4:12 pm

Très intéressant et bien expliqué.
De nombreux textes mentionnent le port dissimulé de mailles pour se protéger des coups de poignards, dagues , stylets.
Dans le livre de Lapierre et Collins "Cette nuit la liberté", consacré à l'indépendance de l'Inde, il est fait référence à un fabriquant de gilets de maille destinés à protéger le porteur contre des coups portés avec aune arme blanche, exactement comme en Italie durant les XVI et XVII ème siècles.
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percheval
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mar. mars 27, 2012 1:04 pm

Intéressant en effet, après il serait intéressant de prendre en compte la force du geste associé en fonction de la tenue de la dague (comme une épée ou comme un pic à glace), du mouvement du corps, de l'inclinaison de l'arme et de la résistance du corps : molle (ventre), dur (cage thoracique) ou molle entourée de deux surfaces dures (artères sous-clavière)...

En tous cas, félicitation !
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