Je vais le temps (et du retard dans mon boulot) pour bien détailler et bien nuancer mon point de vue. Je fais ça parce que je pense que nous arrivons à un point critique de la discussion qui nécessite de bien rentrer dans le détail et l'analyse de la situation. J'invite tous les lecteurs, en particulier ce qui ne comprennent pas mon point de vue, à essayer de me lire jusqu'au bout.
Je tiens avant tout à dire, pour aller dans le sens de Pierre-Al que oui, effectivement, la vie des gens est plus importante que la compréhension du passé et que bien évidemment moi aussi je considère que c'est un drame lorsqu'une opération archéologique retarde un chantier, provoquant la perte d'un emploi. Je tiens juste à ajouter que cela est extrêmement rare.
Justement, effectivement aussi, l'archéologie, comme d'autres pratiques scientifiques sont un luxe, qu'un pays occidental comme la France, peut se permettre de se payer. Et ça tombe bien, malgré les menaces de récession et la morosité ambiante, il semble quand même que notre pays reste quand même dans le haut du pavé international. Et pour ce qui aurait peur du coût ce luxe, en 2005, le budget total de l'archéologie en France (collectivité, université, CNRS et archéo préventive) était inférieur à 0,01 % du budget du ministère de l'équipement.
Maintenant, je voudrais expliqué pourquoi je suis si prompt à défendre mon point de vue. D'abord, et très honnêtement, parce que l'archéologie en France, en tant que science, est née dans la douleur et la contestation. L'archéologie est née parce que les archéologues sont des militants. La reconnaissance au statut de science s'est fait dans le courant du XXeme siècle. Pour l'archéologie médiévale, il a fallut attendre les années 50-60 pour qu'on envisage de faire de l'archéologie. Les premières fouilles de château dates de la fin des année 60. Pendant toute la deuxième moitié du XXeme siècle, les archéologues français se sont battus pour faire reconnaître l'importance des fouilles de sauvetage, en particulier en zone urbaine: Beaubourg, la place de l’Hôtel de ville, le Campo Santo d’Orléans, le Parvis de Notre Dame-la-Grande à Poitiers, les Thermes de Bourbonne-les-bains, sont tous partis à la benne dans l’indifférence quasi générale, c'était dans les année 70-80. Beaubourg et la fontaine des Innocents, c'était le cimeterre du Paris médiévale, presque rien n'a été fouillé... Il a fallu attendre la fin des années 70 et le début des années 80 pour qu'on crée des postes d'archéologues départementaux, qu'on crée une association loi 1901 pour prendre en charge les négociations avec les promoteurs et les fouilles de sauvetage: l'AFAN. Au début du XXIeme siècle, l'AFAN avait entre 1500 et 2000 salariés en CDI et en CDD et réalisait 95% des fouilles archéologiques en France. La situation n'étant plus tolérable, l'état français a créé un établissement public, l'Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP). Il a fallut 30 ans pour reconnaître que l'archéologie était un vrai métier. Il a aussi fallut 30 ans pour que l'état français mette en place une loi et un établissement prenant en charge les fouilles préventives,( opérations obligatoires puisque la France a signé le traité de Malte en 1941 , engageant l'état à protéger son patrimoine). Quel intérêt ? La fin des négociations sans fin retardant les chantiers de BTP, l'anticipation des grands chantiers (autoroute, TGV, etc...) permettant ainsi aux archéo de travailler très en amont des aménagement, la mise en place d'une taxe finançant l'INRAP, etc...
Malheureusement, la loi qui a fondé l'INRAP a mal prévu le financement de la structure. La taxe prélevé aux aménageurs ne suffit pas à financer la totalité de l'INRAP qui est en constant déficit. Alors, en 2003, le gouvernement décide d'ouvrir le marché de la concurrence en archéologie préventive, provoquant une nouvelle fois la grogne des archéologues. Au passage, ce marché vaut environ 100 Millions d'euros, soit à peu près rien.
Donc, oui, je suis militant. Et comme tout militant, je défends mes idées, sans consensus mou. Et oui, c'est de la politique. Alors pourquoi autant d'énervement de ma part ? Et bien, deuxièmement, je suis spécialistes de la métallurgies et des objets métalliques en archéologie. Et je m'insurge contre le discours ambiant qui consiste à dire que les archéologues disposent de plein d'objet, donc on peut en prendre sans scrupule. On dit aussi que les musées cachent le mobilier métalliques et que seuls les archéologues y ont accès. Il faudrait peut être songé à ce que j'ai expliqué plus haut. L'archéologie et l'étude des archéométaux est une science particulièrement jeune en France, et qui a toujours manqué de moyens. Et si il existe si peu de documents accessibles au grand public, c'est peut être tout simplement parce qu'il n'y a pas assez de matière pour les écrire ces bouquins. On commence a peine à avoir les moyens de faire des synthèses aujourd'hui. Pourquoi je râle même quand un détectoriste ramasse une boucle en bronze ? Parce qu'il imagine qu'il ne fait de mal à personne. Mais existe-t'il vraiment une publication française concernant des boucles médiévales découvertes en France ? A ma connaissance, il n'y en a pas. Et pourquoi ? Tout simplement parce que les études sont en cours et que les moyens dont on dispose maintenant permette de mieux étudier ce mobilier. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de boucles en archéo, je dis juste qu'il n'y avait pas vraiment avant les moyens de faire ces études.
De plus, contrairement à la rumeur général, les archéologues ne s'intéresse pas qu'au plus beau ou au plus gros, ils s'intéressent à tout. Du petit déchets de métallurgie qui ressemble à rien, au gros canon en fonte, en passant par le simple carreau d'arbalète ou la petite applique décorative. Pour comprendre une société, on ne se limite pas uniquement à sa production de prestige, mais bien à l'ensemble de sa production.
Mon troisième point de vue et la synthèse de deux précédents. L'archéologie a toujours milité pour exister et pour avoir les moyens de son existence. Etre archéologue aujourd'hui, c'est à la limite du sacerdoce... Demandé au Goupil ce qu'il en pense. Personnellement, j'ai fait 9 ans d'étude et je gagne aujourd'hui 700 euros par mois dans un boulot à mi-temps en médiation archéo. Le reste de mon temps je le passe à faire de la recherche bénévolement: fouilles, études, publications, colloques... tout ça sur mes fonds propres. Je ne suis peut être pas le plus malin, ni le plus doué. Certains d'entre nous s'en sortent: 1 poste au CNRS tous le 2 ans, quasiment plus de poste à l'université, 1 à 2 postes en collectivité territoriale tous les 2 ans. L'INRAP recrute entre 100 et 200 CDD par an et quelques CDI (qui sont les CDD les plus vieux). Mais à la différence des étudiants en histoire, nous n'avons pas la possibilité de nous rabattre sur l'enseignement dans le secondaire pour avoir un emploi. Pourquoi cette situation ? Parce qu'on donne de moins en moins de moyen à la recherche (pour ceux qui ne le savent pas encore, le CNRS comme il est aujourd'hui va disparaître), de moins en moins de moyens à la culture (des baisses de budget de 30 à 40 % par endroits), on déstructure l'université dans laquelle les sciences humaines comme l'archéologie sont en ligne de mire et seront les premières à sauter. Alors, quand je lis qu'on doit laisser et ouvrir le marcher du patrimoine archéologique, qui est une position hautement idéologique, je ne peux que m'insurger. Parce que derrière ça, c'est la même idéologie libérale qui est à l'origine de la situation de l'archéologie française. Et donc, face à une idéologie, je ne peux répondre que par l'idéologie. Et pour moi, l'objet archéologique n'a de valeur qu'au niveau scientifique, il n'en a pas sur un marché. Je conspue la recherche de profit personnel avec l'objet archéo (qui va du ramassage pour le plaisir perso à la vente organisée) parce que c'est la même démarche et la même idéologie que veut qu'aujourd'hui les problématiques de l'archéologie disparaisse du paysage français, pour faire la place à plus de concurrence et plus de marché. Oui, c'est politique. Je ne peux pas accepter ni défendre un discours, ni une idéologie qui va dans le sens inverse de l'intérêt de l'archéologie.
Et c'est en ça que je considère que, Pierre-Al, tu scies la branche sur laquelle tu es assis. Croyez-vous franchement que vous pourrez faire de meilleurs reconstitutions avec moins d'archéologies scientifiques ? Croyez-vous franchement que la société continuera à s'intéresser à son passé si vous lui servez un discours qui dit radicalement l'inverse ? Je ne suis pas d'accord avec Pierre-Al sur le sens qu'il donne à l'histoire. Pour moi, l'histoire a un rôle social, au même tire que la sociologie, la philosophie, etc... (lis donc
L'histoire (du moyen age) est un sport de combat, de J. Morsel accessible en ligne) Quel paradoxe de servir un discours aussi libéral et aussi rétrograde lorsqu'on est soit même chercheur et prof d'histoire !
Quelle est l'ampleur de la perte de données due aux détournements d'artefacts ? Pas la perte théorique, mais la perte réelle, les vrais manques a "gagner" qu'on peut analyser ?
Pour répondre à ta question, et bien on en sait rien. Parfois, il suffit de quelques objets pour découvrir des choses totalement inattendus. Alors si c'est objets sont récupérés pour être mis sur la cheminée.... Un exemple, la seule pile à godet médiévale découverte complète France, a été trouvé par un détectoriste, qui comprenant qu'il avait une chose rare a essayé de la revendre au conseil général... Pour éviter le procès, le monsieur à "gentiment" donné l'objet. Seulement, on ne sait rien de sa datation ni de son lieu exacte de découverte. Alors oui, on peut la regarder sous tous les angles, c'est bien pour faire de la reconstitution, mais pas top pour faire de l'archéologie.
Maintenant, je vais être clair avec vous. J'ai bien conscience qu'on arrivera jamais à endiguer des marchés qui sont légaux ou illégaux. Alors, effectivement, il faut bien arriver à les tolérer, et, entre nous, cela ne m'empêche pas de dormir. Mais comme certains ne supportent pas l'illégalité du chauffard qui roule au dessus de limitation de vitesse, moi, je ne supporte mal l'illégalité des détecteurs de métaux mal employés. Et je défends mes convictions avec militantismes. C'est une position tout aussi idéologiques que certaines que j'ai lu ici.
Et c'est là que pour moi il y a un problème. Bien sûr qu'il y a des collectionneurs et ils ont tout à fait le droit d'exister (personnellement, je collectionne les lampes design des années 70), bien sûr qu'on ne pourra pas arrêter le marché.... MAIS nous sommes sur un forum de reconstitution historique. Nos venons y parler de nos loisirs et de nos métiers lié à a reconstitution. Cette dernière repose malgré tout sur le travail des archéologues, l'étude scientifique du mobilier, etc... Il est pour moi inconcevable qu'on puisse se dire amateur du patrimoine, qu'on puisse vouloir transmettre l'histoire, qu'on veuillent éclairer les gens ou tout simplement reconstituer des objets, etc... en soutenant un discours qui prône la destruction pure et simple des données scientifiques intrinsèques au mobilier archéologique. Mon point de vue dépasse le simple pragmatisme de l'existence de ces destructions, de ces marchés, etc... Nous nous devons d'avoir une position militante qui défend la valeur historique du patrimoine. A quoi bon se moquer comme certains le font des associations ou des pro qui évoquent un Moyen-Age fantasmé si on n'est pas nous même capable de défendre l'idée de l'authenticité du patrimoine. La science doit avancé et nous avec. Les reconstituteurs ne sont pas des archéologues, mais la reconstitution ne prend de sens que si l'archéologie existe et progresse. D'ailleurs là aussi je m'insurge: qui sont les reconstituteurs qui peuvent se permettent de dénigrer les archéologues, voir pire, qui pense pouvoir leur apprendre leur métier.
Je n'en démordrai pas, ici, sur ce forum, je ne laisserai jamais passé un post qui plébiscite le pillage illégale du patrimoine. Maintenant, chacun est libre de vivre sa vie. Je respecte tout le monde, même le pire des pilleurs de site archéo, parce que je considère, au même titre que Pierre-Al, que l'histoire, l'archéologie et le patrimoine sont des valeurs morales qui ne sont pas nécessaire à la survie des êtres humaines. Par contre, je suis profondément convaincu que l'archéologie, en tant que science, est nécessaire à une société moderne.
Le monde est déjà saturé de passé, à tel point que le présent peut à peine y trouver ça place (L. Olivier/Le sombre abîme du temps)