Déforestation au moyen-âge

Vie, coutumes, institutions, pouvoir et organisation de la société au Moyen-Age

Modérateur : L'équipe des gentils modos

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le furet
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mer. oct. 10, 2007 6:17 pm

Or, il y a plusieurs manière d'exploiter la forêt et plusieurs types de forêts.

-Agroforesterie : Pratique surtout tropicale consistant à planter des espèces utiles dans une forêt existante et donc de vivre d'une cueillette améliorée par l'intervention de l'homme.
Chez nous, la glandée est une forme très particulière qui, dans certains cas, trop intensivement pratiquée, a remis en cause le potentiel de régénération forestière par les semences. Par voie de conséquence, on obtient alors une moindre densité de peuplement qui peut favoriser d'autres dégradations.

-Bois mort : On exploite uniquement le bois mort ramassé à terre, le plus souvent à des fins de chauffage. Généralement "indolore" pour le peuplement, cet export de matière organique, dans le cadre d'écosystème pauvres ou lents peut mener à un appauvrissement du milieu progressif mais visible sur quelques siècles ou millénaires.

-Fûtaie, les arbres des fûtaies sont exploités à maturité et constituent la principale source de bois d'oeuvre sur des cycles de 150 à 300 ans souvent. Entretemps, le droit coutumier peut autoriser le prélévement des branches latérales basses des arbres (chauffage, paturage aérien ...) voire dans le cadre d'éclaircissage, l'abattage des arbres les plus chétifs, sérrés ou malades. Une fûtaie avec une bonne diversité et un sous-bois "propre" permet de choisir les arbres à abattre en continu pour laisser le peuplement se reconstituer en continu lui aussi. C'est le concept moderne de "fûtaie jardinée". Sinon, la "récolte" passe par la définition suivante.

-Coupe à blanc : déforestation totale avec ou sans dessouchage, la production de charbon de bois notamment pour les sidérurgistes, forgerons voire verriers (quoique plus spécifique), lorsqu'elle s'intensifie mène aussi à un tel résultat. Parfois, les troupeaux viennent paître dessus histoire de bien anéantir toute repousse, puis les cultivateurs s'y installent.

-Incendie : destruction de la strate muscinale au minimum et favorisation de l'érosion aérienne et par ruissellement. Un léger écobuage ne devrait pas aggraver ces phénoménes sauf que presque personne ne maîtrise à 100% un écobuage en plaine ou montagne. Les orages sont une cause naturelle d'incendie, mais le pastoralisme une bien plus importante.

Voilà en gros ce dont je me souviens sur les modes d'exploitation des forêts. Mais les arbres ne sont pas forcément regroupés en forêts. Les saules à osiers en sont un bon exemple.

Ce que je voulais vous montrer, c'est qu'on peut faire une bataille autour des surfaces, l'important c'est avant tout les ressources qu'on pourra en tirer. Régis Boyer, par exemple, explique que les vikings qui se sont aventurés en Méditerrannée ont été déçus et pressé d'en partir faute de grands arbres d'où tirer les longues planches composant les bordées de leurs bateaux en cas de réparations.
Grég le furet


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le furet
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mer. oct. 10, 2007 6:19 pm

De même, aujourd'hui, nos forêts sont plus étendus que depuis 4 siécles. Mais, les reconstituteurs qui construisent des grands voilier ou même des Langskips en France peinent à trouver les plus grosses piéces de bois nécessaires à réaliser les étraves, les mâts ou certaines membrures. En revanche, le boom du papier lié à l'informatisation nous oblige à consacrer de vastes surfaces de forêts à cycle court (peupliers, pins des landes...) pour satisfaire la demande de pâte à papier.

Enfin, et je terminerai là-dessus. Il est anormal d'acheter du mobilier qui dure moins de temps qu'il n'en a fallu à l'arbre pour pousser. Même si chez nous les forêts sont bien gérées dans l'ensemble, sachez que nous nous meublons avec du pin brésilien qui pousse sur les cendres de l'Amazonie.

Or, la vraie richesse forestière, c'est l'épaisseur et la richesse du sol où les végétaux capitalisent patiemment l'humus.

A+
Grég le furet


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bertrand le charpentier

mer. oct. 10, 2007 6:35 pm

Le furet a dit :
Enfin, et je terminerai là-dessus. Il est anormal d'acheter du mobilier qui dure moins de temps qu'il n'en a fallu à l'arbre pour pousser.

En gros un meuble en bois qui dure moins de 100 ans c'est de la camelote sans nom... :D



Ouais, avec les productions modernes à base d'aglo et de médium on en est loin.



Sinon merci pour toutes ces infos, Le furet.
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Yvan de Tergate
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jeu. oct. 11, 2007 2:46 am

Vuillem : merci pour ton post passionnant ! Je me doutais que ce genre de technique devait exister, mais le carottage reste une opération coûteuse j'imagine. Il est donc difficile d'en réaliser au 4 coins de la France pour avoir une idée assez précise de l'étendue forestière à l'échelle du pays.

Peut-être avez-vous des modèles qui vous permette d'extrapoler à partir d'un nombre restreint de carottage ?
Les lances le Roi
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vuillem
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jeu. oct. 11, 2007 3:24 am

Il n'y a pas de modèle possible puisque chaque région a une histoire différente. Cependant, effectivement, la multiplication des études dans une région permet d'établir des comparaisons.

Il est aussi possible de comparer les résultats de la palynologie à ceux d'autres méthodes comme la dendrologie (dont la dendrochronologie) qui, en plus de permettre de dater précisément la coupe d'un arbre, permet aussi d'évaluer l'état du climat d'une région en fonction de l'épaisseur des cernes des arbres. L'étude des cernes permet aussi d'évaluer l'état du couvert forestier (plutôt ouvert ou plutôt fermé), la vie de l'arbre (élagages régulier, etc...),.... Dans mes travaux avec JC Oillic, on travail aussi avec les charbons découverts sur le site, on parle d'anthracologie. On cherche a déterminer les taxons qui ont servi pour la métallurgie, ce qui nous dit aussi le type de bois rechercher et consommer dans la forêt, et on peut appliquer des méthodes dendrologiques sur les cernes visibles sur les gros exemplaires de charbon.

Pour la palyno, le carottage est loin d'être le plus cher. Ce qui coûte de l'argent, ce sont les attaques chimiques des tranches de la carotte. L'étude d'une carotte coûte effectivement plus d'un millier d'euro (sans compter le salaire du chercheur). Pour info, une datation C14 coûte entre 350 et 450 euro en France, et sur une carotte il faut au moins 2 datations.

En ce qui concerne les études à l'échelle du pays, cela dépend à la fois des emplacements des tourbières, des politiques régionales de recherche, des problématiques des équipes de recherche et des financements possibles. Je pense que d'ici quelques années, on aura quand même couvert de nombreuses régions.
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Yvan de Tergate
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jeu. oct. 11, 2007 3:34 am

Vu que tu es clairement dans le "milieu", est-ce que tu sais si des travaux on été fait pour tenter d'établir des cartes forestières à l'échelle du pays pour la période du moyen-âge ?

Ou au moins des estimations scientifiques de l'évolution de la surface forestière au cours du moyen-âge ? Si oui, où peut-on trouver ces informations ? Ayant moi-même passé de longues années dans le monde de la recherche (en informatique, rien à voir !), je sais qu'il n'est pas forcement facile pour monsieur tout le monde d'avoir accès aux publications. Et encore, en informatique la plupart des publications sont désormais disponibles sur le web, mais ce n'est pas le cas pour les autres disciplines...
Les lances le Roi
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le furet
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jeu. oct. 11, 2007 5:35 am

On trouve des estimations globales, souvent controversées sur les limites de leur portée.

Je me souviens que des résines retrouvées dans des poteries ont été analysées par spectro de masse à Bordeaux ce qui permit d'établir quelques profils intéressants pour en déduire les essences.

En 1950, il a été publié des cartes de végétation pour la France entière. On devait le refaire en 2000 mais le coût à effrayé les pouvoirs publics.

En revanche, la présence de vestiges de villas romaines en pleine forêt indique clairement une dynamique dans la répartition des peuplements.

Si ma mémoire est bonne, le Mont Saint-Mich était au coeur d'une vaste forêt disparue suite à des boulversements géologiques qui ont fait pénétrer l'eau de mer.
A l'inverse les dunes ont permis aux lacs de cazaux, hourtin, lacanau ... de "dessaler" le milieu pour en faire une lande et une forêt assez particuliére (pas l'artificielle). Mais la dynamique des dunes engloutit et libére réguliérement des arbres précieux pour connaître l'écologie de l'époque.

Bref, des esimations existent, la revue "forêts" en publie de temps à autre. Mais la question subsiste quant à savoir la confiance qu'on peut leur accorder, difficile de se faire une opinion quand tout le monde semble de bonne foi.

Enfin, si on parle de la fin du MA, certaines portions de forêts deviennent des "domaines de chasse", leur exploitations vise aussi à favoriser le déplacement de cavaliers et la vie des cerfs. Cela améne à des modifications assez importantes du milieu forestier.

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Grég le furet


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yrwanel
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jeu. oct. 11, 2007 5:38 am

Sinon, un livre qui explique les rapports médiévaux entre la forêt et l'homme:
"Histoire de la France rurale, 1. des origines à 1340", sous la direction de Duby et Wallon, Points - Histoire

(bon, là je viens pile de le recevoir... pas encore lu...., mais cela cause de l'évolution de la forèt)
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vuillem
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jeu. oct. 11, 2007 6:02 am

Je ne connais pas de synthèse récente sur le sujet, mais en même temps, je m'intéresse surtout à un espace géographique précis. Je ne suis pas sûr qu'on dispose actuellement d'une bonne image de la forêt à l'échelle de la France pendant le Moyen Age. Je suis assez d'accord avec le Furet, je ne pense pas qu'aujourd'hui on puisse dire à quoi ressemblait précisément notre territoire il y a 500 ou 600 ans.

Pour revenir à votre question qui a généré ce topic, je ne pense pas que se poser la question de la fourniture en bois puisse permettre de répondre à la technique de production d'un bouclier. Je pense qu'il vaudrait mieux prendre la question dans l'autre sens et regardé comment sont fait les boucliers qu'on a pu conservé. Il me semble que c'est une erreur de réfléchir en se demandant ce qu'on peut potentiellement produire au regard des ressources naturelles. Il faut placer l'humain au centre de la question et réfléchir en terme de culture technique. Ce n'est pas parce que potentiellement le milieu permet de faire quelque chose que cette chose a été faite. Je donne souvent cet exemple, on avait les ressources au Moyen Age pour produire un moteur thermique, pourtant cela n'a jamais été fait; la culture technique ne tendait pas vers le besoin d'un moteur thermique.
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bertrand le charpentier

jeu. oct. 11, 2007 6:48 am

Il faut placer l'humain au centre de la question et réfléchir en terme de culture technique. Ce n'est pas parce que potentiellement le milieu permet de faire quelque chose que cette chose a été faite.

Je suis d'accord avec toi.
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Yvan de Tergate
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jeu. oct. 11, 2007 6:52 am

vuillem a dit :
Je pense qu'il vaudrait mieux prendre la question dans l'autre sens et regardé comment sont fait les boucliers qu'on a pu conservé. Il me semble que c'est une erreur de réfléchir en se demandant ce qu'on peut potentiellement produire au regard des ressources naturelles.
Je suis totallement d'accord ! Mais as-tu un bouclier courbe du XIIIe sous la main ? :)

Les rares exemples que l'on connait, c'est à travers des photos où il est impossible de déduire quoi que ce soit sur la manière dont le bouclier est fabriqué... Faute de pouvoir examiner un bouclier archéo, on extrapole sur la manière dont il serait possible d'arriver à ce résultat...
Les lances le Roi
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cymralle
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ven. oct. 12, 2007 11:49 am

Yvan de Tergate a dit : Dans le flot de lien postés sur le sujet aujourd'hui, j'ai lu que lorsque la déforestation avait pour but de créer des surfaces agricoles, le bois était purement et simplement brulé !
Alors je ne sais ne sais pas ce que ça vaut comme source (je connais mal) mais le guide de Guédelon en nous montrant un clou avait fait un laïus comme quoi pour forger un clou (à la bonne température et je ne sais plus quoi) il fallait un certain nombre d'arbres (je ne l'ai plus en tête mais c'était élevé) et qu'avec cette logique, si ça avait continué il n'y aurait quasiment plus de forêt et blablabla la déforestation au Moyen-âge.

Si on ajoute ça à ce que vous dites (moines défrichant, forêts brûlées juste pour faire du terrain agricole etc.) d'un coup ça change une image du paysage médiéval courant XIIe-XIVe qu'on pouvait se faire :/ Je ne sais dans quelle visée me placer, d'un côté je pensais au fait que les villes étaient moins grandes, que la forêt n'était pas la zone préférée pour vivre aussi je les imaginais vastes et évitées, et en même temps cette histoire de déforestation qui paraît plus grande que je ne pensais... j'attends les prochaines informations !
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le furet
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ven. oct. 12, 2007 12:27 pm

De petites communautés séparées par la forêt ou de grands espaces, c'est presque vrai pour l'An mil si on en croit Duby, par contre fin XVéme, l'espace est beaucoup plus "maîtrise" comme disent les géographes.

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Grég le furet


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hellin
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ven. oct. 12, 2007 12:53 pm

A lire avec les précautions d'usage (puisqu'on prête habituellement à la littérature du XIXe une mauvaise réputation): Histoire des grandes forêts de la Gaule et de l'ancienne France, de Louis Ferdinand Alfred MAURY (1850)
Je l'ai lu hier soir, pas mal d'infos intéressantes, dont il me semble quelques unes évoquées dans ce topic...
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vuillem
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ven. oct. 12, 2007 5:14 pm

Cymralle a dit :
Alors je ne sais ne sais pas ce que ça vaut comme source (je connais mal) mais le guide de Guédelon en nous montrant un clou avait fait un laïus comme quoi pour forger un clou (à la bonne température et je ne sais plus quoi) il fallait un certain nombre d'arbres (je ne l'ai plus en tête mais c'était élevé)

Euh... ça me semble un peu exagéré tout de même... Je n'ai pas de chiffres précis en tête, mais en gros, on met autant de charbon de bois que de minerai dans un bas-fourneau. En gros (c'est théorique), 30 kg de minerais, soit plus ou moins 30 kg de charbons de bois, donne env. 10 kg de métal brut soit en gros 5 kg de métal épuré. C'est très approximatif comme démonstration et ça dépend du minerai et de la culture technique.
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