Salut,
En préambule, Je ne sais pas si ça t'intéresse mais j'ai une petite liste pour le 1er siécle issue du hortus de Pline pour élargir.
Ensuite, on a quelques incertitudes à évoquer. D'abord, c'est difficile de séparer le vécu local des apports exotiques à partir des textes. Tous le probléme c'est de savoir si une plante est réguliérement cultivée dans une région. Si elle est anecdotique mais poussant dans un jardin monastique elle a la chance d'être couchée sur le papier mais elle n'est pas représentative de la période. C'est par exemple le cas de certaines cucurbitacées qui sont avant tout médicinales avant que le travail de domestication fait par des Andalous ou des moines n'en fasse des plantes alimentaire. J'ai vu une conf' de Célia Fisher à Kew où elle disait à propos du capitulaire "de vilis" que certaines plantes de la liste ne pouvaient de toute façon pas pousser dans les 4/5 de l'empire Franc. Ce capitulaire donne un cap vers lequel tendre mais malheureusement, il n'est pas un constat de ce qui pousse réellement dans l'empire. Cette incertitude se double d'une autre qui est que le nom latin historique employé ne désigne pas forcément la plante qui a hérité de nom sous les linnéens.
Si on attaque un peu la liste sur le capitulaire "de vilis vel curtis imperialibus", il faut préciser que son interprétation repose sur des noms vernaculaires français actuels et le plus souvent admis. Cela signifie qu'on n'a pas d'échantillons étiquetés de ce que ce capitulaire désigne.
Par rapport à cette liste :
http://www.oldcook.com/capitulaire_charlemagne.htm
Pisos mauriscos désigne un pois qui est le "pois gris" ou "pois des champs", dont on mange les petites graines. Par contre, le pois cassé est une invention variétale de la fin XIXéme avec des améliorations variétales qui permettent de retirer le tégument (l'enveloppe) par abrasion. D'après des sites archéologiques néolithiques et antiques du Moyen-Orient, il semble bien que le pois se consommait entier comme toutes les légumineuses sauf "fasiolum" dont les Romains consommaient les gousses vertes (façon haricots verts mais Phaseolus est un genre américain) possiblement à cause de restes de toxicité dans les graines à maturité (la domestication des légumineuses a largement consisté à sélectionner des plantes de moins en moins toxiques). Bref, derrière "pisos mauriscos" on pourrait bien trouver autre chose que l'ancêtre de Pisum sativum (le petit pois) dont la vogue en France remonte au milieu du XIXéme. Cela pourrait être les lentilles (lens) ou d'autres légumineuses ou encore plusieurs plantes à la fois selon les régions. Par exemple, le viandier de taillevent au XIIIéme siécle parle de "crétonnée de pois nouveaux". Qu'est-ce que le pois nouveau ? Mystère mais probablement pas encore le petit pois.
A propos de la dolique mongette (Vigna unguiculata), le probléme c'est que quand vous achetez des mongettes aujourd'hui, en réalité vous achetez des variétés de haricot du nouveau-monde qui s'y sont substitués tout en conservant le nom entre le courant XVIIIéme jusqu'au XXéme siècle malgré un rendement intéressant pour les doliques....
A propos d'ascalonicas (l'échalotte), l'échalotte pose probléme par ce que toutes sortes de plantes du genre moderne Allium pourraient prétendre au titre (voire même certains poireaux peut-être). D'autant qu'Allium cepa, l'échalotte moderne, est-elle déjà la plante connue de Pline sous "Caepa", "Caepa simplex" (variété monobulbe) qui devient "Unio" chez Columelle et qui donnera l'oignon en Français. Donc gros flou sur la réalité botanique du terme "echalotte" et les dates d'arrivée de certaines espèces d'Asie centrale (aujourd'hui au bord de l'extinction tiens d'ailleurs).
Concernant Parduna, la bardane, il y a une variété dont les feuilles et tiges sont encore consommée en Italie sauf qu'à l'époque du capitulaire il semble que ce soient les racines qui soient consommées. Pourquoi ? Est-ce la même plante ?
Concernant radix, radices, statut incertain à Rome et dans le capitulaire parce que nos radis à nous viennent de sélections des plus fortes racines de ravenelles en pollinisation libre effectuées par Monsieur Carrière à partir de 1864. Alors bien sûr, on trouve des plantes ressemblant à des radis sur les murs de Karnak, on connait le radis chinois à feuilles pleines des Song au XIéme siécle et les Daikons d'extrême-Orient. Mais en Europe, qu'est-ce qu'on appelle "radis" ? Pline appelle radix ou raphanus les légumes racine qui ne sont pas des carottes. Il distingue raphanus agrestis et sylvestris traduit par "ravenelle" et raphanus armoracia assimilé au raifort (mais consommé en légume et pas en condiment) et raphanus sativo, le radis hypothétique mais qu'on a souvent traduit par raifort (témoignant d'un usage condimentaire du radis à Rome ?).
A propos de Ravacaulos, le chou-rave, on a traduit ça en botanique par Brassica oleracea var. gongylodes sur la base de Columelle qui cite un Gongylis pour le chou-rave. Sauf que le Goggylis grec serait une rave en réalité (Brassica rapa). Donc statut incertain...
Sur Blidas, il semble bien que ce soit une amaranthe, un chénopode plutôt que la blette Beta vulgaris. En revanche Assimiler Blidas à Amaranthum blitum est un peu abusif même s'il y a une longue tradition de consommation de ses feuilles en Italie.
La présence de lactuca dans la liste pose le probléme de son emploi à l'époque Charlemagne apprécie son pouvoir aphrodisiaque et à la même période en Orient le latex de Lactuca virosa est utilisé comme narcotique. Pourtant elle est connue des Romains, consommée en mélange avec la roquette. Mais dans la liste du capitulaire, sa présence sans préciser l'espèce pose la question de son appartenance aux aliments ou à la pharmacopée et plus avant de l'état de la domestication des différentes espèces de laitues dans l'histoire.
A propos de porros, le poireau, ou plutôt les poireaux, on a du mal à savoir de qui il s'agit dans le capitulaire. On sait que Pline encourage à recouvrir les poireaux de tuiles pour les faire bulbifier... S'agit-il du poireau bulbeux, Allium porrum ? On sait aussi que l'on récoltait dans le midi un poireau de vigne (ampeloprasum) qui est une plante sauvage aujourd'hui menacée d'extinction à cause des herbicides : Allium polyanthum. S'agit-il de lui ? On sait juste que c’est sur la seconde moitié du Moyen-Âge que les poireaux courts et longs se différencient et qu’à la fin du Moyen-Âge, leur poireau est le notre. Mais sous Charlemagne, lequel est-ce ?
A propos de coloquentida, ce ne sont pas les coloquintes déco qui appartiennent à l’espèce américaine cucurbita pepo mais bien la coloquinte médicinale Citrullus colocynthis. Et ne pas confondre avec les gourdes, Lagenaria siceraria, qui ne sont pas des coloquintes mais parfaitement attestés par Pline à Rome.
A propos de pepon, popone, il y a une confusion entre melon et concombre. Pepo vient du Grec signifiant cuit ou mûr. Or, le melon est consommé mûr et le concombre cru avant maturité ou cuit. Problème, l’Europe du Nord ne peut longtemps cultiver ni l’un ni l’autre sans abri. Ce n’est qu’à partir du Xiéme siècle que le doute se dissipe avec l’apparition de « melones dulces » que l’on retrouve dans le Tacuinum sanitatis.
Bref, voilà, rien que sur le capitulaire ce qu’on peut dire en deux heures un dimanche après-midi en relevant rapidement. Je suis persuadé qu’à l’avenir, on va encore en trouver de belles.
Chapi-chapo je t’envoie un MP avec la petite biblio qui va bien dès que j’ai le temps de la taper. Franchement, j’adore votre tableau parce que vous avez eu le courage de sortir ce que j’ai eu la flemme de faire depuis deux ans et c’est un super boulot qui m’a renvoyé à mes lectures, c’est excellent !
A+