Quelques questions sur les épées médiévales...

Typologie, utilisation...

Modérateur : L'équipe des gentils modos

dumnorix
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sam. janv. 23, 2010 6:19 am

Bonjours à tous,


n'ayant pas réussi à trouver de réponses sur le forum à certaines de mes interrogations, je les expose ici :





- Il existait au Moyen-Age des épées dites "civiles" et "de guerre", quelle était la fonction exacte de l'épée civile? C'était une arme d'apparat? de duel? d'entrainement? de "self défense" que l'on portait toujours sur soi?





- Cela m'a fais m'interroger sur un second point : à quel moment portait-on l'épée en temps de paix? J'ai en tête l'image du chevalier ne se séparant jamais de son arme, est-elle vraie?


Comme il a été dis plusieurs fois sur ce forum, le chevalier ne porte pas son armure constamment, alors qu'en est-il de son épée?





- Concernant le port de l'épée : qui est autorisé à la porter? Seuls les nobles, les chevaliers? Les soldats en possédaient bien?


On entends souvent dire que l'épée était le seul privilège de la noblesse, cela était vrai à l'époque Moderne, mais au Moyen-Age?


Il me semble avoir lu qu'au Moyen-Age des citadins possédaient des armes, dont des épées, qu'en était-il?





Mes interrogations portent sur des clichés que je pense être faux, mais je me suis rendu compte que j'étais incapable de les étayer par des exemples concrets ou des sources.


J'en appelle donc à vous....


Merci d'avance!
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medieviste
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sam. janv. 23, 2010 6:53 am

Pour répondre dans l'ordre :





- L'épée civile, je ne saurais dire de façon précise sa fonction, exception faite qu'une épée pesant 600 grammes et mesurant 75 cm n'est pas efficace face à un haubert ou une armure de plates. J'ai vu une telle épée datée fin XIIIe début XIVe dans un musée lorrain. Donc je pencherais plutôt vers l'épée d'usage civil, capable d'infliger des blessures à un homme désarmuré, et plus légère que l'épée "normale".





- Le chevalier ne se séparant jamais de son épée : c'est impossible à dire, car si on juge d'après les enluminures, il ne la porte que lorsqu'il est en armure. Si on juge d'après les statues d'églises il la porte tout le temps. Les textes ne sont pas assez précis. Je peux juste dire que j'ai étudié il y a longtemps un texte d'époque sous Saint Louis dans lequel ce roi essayait d'interdire le port de l'épée à moins de 15 km de Paris, et qu'un noble ayant été apperçu à cheval avec son épée dans le "périmètre interdit" se voyait embêté. Mais jamais eu d'idée de la suite des opérations. J'ai étudié ce texte à la fac et le but premier était de lire et traduire un document d'époque, pas de l'analyser. Ceci dit, on pourrait supposer que les nobles appréciaient de conserver leur épée sur eux en civil.





- La possession de l'épée est libre, tout le monde peut en avoir une, je n'ai jamais entendu dire qu'il fallait un statut social pour en avoir une. En revanche, il faut pouvoir justifier du port de l'épée : en temps de guerre, c'est autorisé, en temps de paix, un soldat la porte s'il est en service, mais s'il ne l'est pas, je crois qu'il n'a pas le droit de la porter (contrairement au noble).





Voilà en résumé ce que je peux en dire rapidement vite fait comme ça...
Reinhardt von Rappolstein
dumnorix
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sam. janv. 23, 2010 6:59 am

Merci beaucoup pour cette réponse aussi rapide que complète!


De plus ces interrogations viennent d'une discussion que j'ai eu récemment avec un ami à propos d'un de tes postes ou tu parlais d'épée civile (celui sur la magnifique épée que t'a fait Gaël Fabvre).


On s'étaient demandé ce qu'était une épée civile...et toutes les autres questions avaient découlées de cela!


Merci encore!
lancelot du bot
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sam. janv. 23, 2010 8:13 am

Une épée civile est une arme de défense, mais avant tout un marqueur social; elle peut être embellie de façon ostentatoire et onéreuse.


Elle n’est pas faite pour un usage destructeur.





L’épée de guerre, elle, est faite pour taper, trancher ou perforer, au risque d’être endommagée, cassée ou perdue ; elle sera donc plus lourde, plus solide et plus « rustique » dans son aspect, mais plus élaborée d’un point de vue technique.





Quant aux usages concernant le port d’une arme, comme le dit médiéviste, les textes sont flous et cela dépend sans doute du lieu et de l’époque.


La possession d’une épée est (à ma connaissance) autorisée pour quiconque est en droit de se défendre ; à l’époque des « grandes compagnies » ou des raids normands, les paysans les plus aisés avaient souvent des armes diverses et variées cachées sous la paille, en plus de leurs outils traditionnels. Si ils étaient surpris, ils pouvaient tenter de se défendre, mais le plus souvent, s’ils en avaient le temps, ils préféraient fuir ou se réfugier sous la protection du seigneur local ; si ils arrivaient avec « armes et bagages », c’était un plus pour le château et leurs armes étaient les bienvenues.


Durant des époques plus calmes (il n’y en avait guère), la détention d’armes par des « manants » était sans doute moins bien vue de l’aristocratie…
dumnorix
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sam. janv. 23, 2010 9:24 am

Il y a des sources qui prouveraient que des roturiers possédaient des épées (iconographie, inventaires,...)? Vu le prix élevé de ces armes quel pouvait être le pourcentage de la population qui pouvaient s'en offrir?
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medieviste
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sam. janv. 23, 2010 10:00 am

Lancelot du Bot a dit : Une épée civile est une arme de défense, mais avant tout un marqueur social; elle peut être embellie de façon ostentatoire et onéreuse.


Pas d'accord ! J'ai vu des épées de guerre très belles, très joliment fignolées, et des épées civiles, j'en ai vu si peu que je me garderais bien d'avancer de tels arguments. Je dirais même qu'on ne sait pas grand chose des épées civiles, excepté qu'elles sont probablement plus courtes (et encore... pas forcément) et surtout plus légères que les épées de guerre. Quant à l'équilibrage, il joue énormément aussi !



Vu le prix élevé de ces armes




Argh !


Argh !


Argh !


Et re-argh !


Je me bats pour militer en faveur des épées abordables depuis quelque temps déjà ! Cessez d'imaginer que l'épée est forcément une arme coûteuse (et ceci est valable pour les hauberts aussi !)


Je commence à me rebeller contre l'image d'Epinal du "pauvre" soldat (je me suis déjà expliqué dans un autre topic sur le fait qu'un soldat "pauvre", ça n'existe pas ! C'est quelqu'un de bien plus aisé qu'on n'imagine !) qui peut à peine de permettre un gambeson et une lance !!!!


Non ! Non ! Et re-non ! (tape du pied pare-terre nerveusement !)





J'ai vu plusieurs fois dans des comptes seigneuriaux, ou des comptes urbains, des épées valant 3 sous ! Nom d'un chien, trois sous ! Un soldat gagne globalement un sol (un sol-des sous !) par jour ! Que représente une épée de trois sous, franchement ? C'est à la portée de n'importe quel soldat !





J'ai aussi vu des hauberts qui coûtent 30 sous, voire parfois moins. Je m'étais amusé à recenser tous les soldats porteurs de gambesons et de hauberts dans la bible en skis : plus de la moitié ont un haubert. De même un ami a fait un recensement des arsenaux sous Philippe Auguste (pour le collectif Bouvines) et il en ressort également qu'il y a grosso-modo 50 % gambeson-haubert pour les soldats.





Maintenant il est primordial de bien voir de quoi on parle : la qualité ! On peut avancer que posséder une épée (ou même un haubert) n'est pas du tout signe de richesse, c'est très abordable.


Mais à quelle qualité ? L'épée (ou le haubert) d'un chevalier représente une qualité extrême qui résiste longtemps à un usage intensif. L'épée (ou le haubert) d'un soldat (ou même d'un paysan ou d'un bouregois) représente un truc bas de gamme pas cher mais qui sera très vite hors d'usage.


Pierre Al avait calculé la capacité de production de lames d'épées de Nuremberg (je crois) à la fin du Moyen Age, et c'était monstrueux ! Mais pourquoi produire tellement de lames s'il n'y avait pas une telle casse ?





Exemple actuel de la deudeuche et de la Rolls ! Tout le monde peut s'offrir une bagnole. Mais quel est le pourcentage de Rolls ?
Reinhardt von Rappolstein
dumnorix
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sam. janv. 23, 2010 1:13 pm

Du coup une Albion (Knight par exemple), par son poids, taille et équilibre, ça se rapprocherai plus de quoi? Epée civile ou militaire?
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medieviste
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sam. janv. 23, 2010 1:35 pm

Les Albions sont généralement des épées de guerre. La Knight par exemple en est un parfait exemple, je l'ai et elle me semble fort bien équilibrée pour faire bobo à un type armuré, mais un peu "lourde" (disons plutôt mal équilibrée) pour de l'escrime civile !


A ce niveau, là "Squire" (même modèle que la "Prince") serait plutôt axée civil, bien qu'elle puisse servir en militaire aussi (mais moins efficace qu'une Knight face à une armure)


La Arn et la Stamford sont également des modèle clairement militaires de par leur équilibre (je parle de celles que je possède et donc que je connais bien)


Mais des modèles d'épées civiles chez Albion, je ne sais pas s'il y en a beaucoup, du moins pour les XII-XIIIe...
Reinhardt von Rappolstein
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mink
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lun. janv. 25, 2010 4:31 am

medieviste a dit : A ce niveau, là "Squire" (même modèle que la "Prince") serait plutôt axée civil, bien qu'elle puisse servir en militaire aussi (mais moins efficace qu'une Knight face à une armure)

Enfin ça dépend de l'armure, le type XVI a quand même une pointe assez intéressante pour chercher les défauts... Alors qu'une Knight ne pourra plus vraiment tirer partie de sa masse et de son tranchant contre une armure plus tardive.





Je suis un peu intrigué par cette dichotomie civile/militaire aussi, je n'en avais jamais entendu parler avant de voir Gaël, et j'ai des doutes sur l'utilité de la classification... Il doit y avoir une zone "grise" assez large.
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percheval
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lun. janv. 25, 2010 5:03 am

Je pense que faire une différence entre une épée "civile" et une épée "militaire" et une vision contemporaine. Il n'y pas de division entre un civil et un militaire à l'époque cat tout individu est succeptible un jour de devenir homme de guerre. Les lettres de rémission (oui encore elles!) nous montrent des laboureurs et de simples hommes de guerre armés d'épée pour la période XIVème XVème. L'épée n'est pas forcément très rare, mais plutôt moins présente que les armes d'hast, les dagues ou les couteaux (et par couteaux certains font la taille d'une petite épée...).


Certains écuyers/chevaliers rencontrés dans ces mêmes lettres se promènent seulement en robe avec une dague. C'est leur valet derrière qui est armé souvent d'une arme d'hast.





Quant au port d'armes il concerne tout le monde sans exception en fonction des statuts de la ville. Le plus souvent le port d'armes et théoriquement interdit en ville et il est permis en dehors.





Après il y a des épées d'apparats ou d'autres plus ou moins chères. Comme dit plus haut il y en a pour toutes les bourses : ordonnaces de Jean II le Bon avant Poitiers :





Quet toute manière de gens habitans en la ville et suburbez de Poitiers, seront contrains a eulx armer, chacun selon son estat ; c’est assavoir, les riches et les puissans de toutes armeures, les moiens de lances, pavois ou godendac et de cote gambezie ; et les menus de godendac ou d’espée, si et tellement comme ils pourront . Durant la même période, en 1356 en Sologne, 38 habitants de la prévoté de Bracieux viennent à Blois le 24 mai, avant le siège de Romorantin ; 10 ont une mauvaise épée, sept un godendart ou demi-pique, trois un bâton ferré, un quatrième une hache. Un seul possède une épée, une demi-pique, un coustel à pointe, quinze n’ont aucune arme .
REGHT : Recherche et Expérimention du Geste Historique et Technique.
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khosrau de samarkand
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lun. janv. 25, 2010 8:23 am

Je plussoie avec Perceval sur le fait que la dichotomie civile/militaire est moderne. Et avec Medieviste sur le fait que l'épée est plus répandue et moins chère qu'il n'y parait.


J'ai vu ce week end dans un livre un tableau comparatif des prix chez les Vikings. Je n'ai pas mémorisé le prix exact, mais il me semble que c'était équivalent à 3 vaches, et le prix d'une armure de mailles de l'ordre de 8 vaches. Snorri saurait probablement en dire plus.





J'ai aussi entendu parler de législations interdisant le port de l'épée en ville (et qui aurait contribué au très grand nombre de "messers" portés, car apparemment, ne dépendant pas de cette loi). De même, les chartes fondatrices des Universités exigent que maitres et étudiants ne portent pas d'armes au sein de l'université.


Et finalement, je suis récemment tombé sur l'inventaire d'un étudiant vivant dans un collège (donc à priori une personne "pauvre") datant du XIV. Il y avait une épée (sans plus de détails) dans cet inventaire. Au vu du reste de l'inventaire, l'étudiant en question semblait en effet plutôt pauvre.
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amaury
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lun. janv. 25, 2010 8:44 am

Il me semble que la question du porte de l'épée en permanence ou pas en ce qui concerne le chevalier ne peut pas être résolue avec les informations dont nous disposons. Il faut dans ce cas là, je pense, se fier au bon sens. Porter son épée s'avère nécessaire dans un grand nombre de situations de la vie quotidienne du chevalier, dans d'autres les circonstances courtoises ou diplomatiques vont l'obliger a ne porter qu'une arme d'apparat, courte ou encore pas d'arme du tout.





Pour les bourgeois, les soldats et les paysans c'est pareil. Bref, lorsque on regarde des images de pays en guerre, les porteurs d'armes sont en général des combattants potentiels et/ou professionnels (gardes du corps, mercenaires...). Cela ne doit pas empêcher certains "civils" de se doter d'armes lors de voyages dangereux mais le port d'arme signifie aussi, dans ces cas là, prendre le risque de devoir s'en servir...! Cela devait être pareil a l'époque et ça s'ordonne sans doute assez naturellement selon les circonstances.
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tripat3
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lun. janv. 25, 2010 2:13 pm

J’aurais un peu la même conclusion que toi Armaury à une petite différence quand même.


Je pense quand même que si une personne est assez argentée pour s'offrir une lame de qualité, ça ne devrait pas l'empêcher de choisir une épée très belle et bien décorée pour la frime dirons-nous et une autre plus solide mais avec moins de finition pour la guerre.


J'ai souvent pensé au katana, car on pouvait changer de saya (fourreau), de stuba (garde), de stuka (poignée), au gré de la situation, il suffit d'enlever une goupille, mais sur une épée ce n'est pas possible car l'ensemble garde, poignée, pommeau est maintenu par le rivetage de la soie.


Donc la seule façon de changer d'épée est d'en avoir plusieurs.


C'est dans ce cas de figure que l'épée de guerre ou l'épée civile prend tout son sens.


Mais ce n'est qu'un avis personnel, rien de plus.
Par pari refertur
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lun. janv. 25, 2010 3:06 pm

N'oublions pas non plus que la guerre (entendons par là la vraie, celle avec pas mal de monde en armure) est très rare à l'époque médiévale : quelques jours par an en moyenne (certes, c'est toujours plus fréquent qu'en notre calme XXIe siècle -pour l'instant-) ; donc un civil (artisan, paysan, bourgeois) qui se paye une épée va l'utiliser dans 90 % (voire plus) des cas en vêtements civils, sans armure, face à un agresseur de type bandit de grands chemins, voleur, ivrogne, donc dépourvu d'armure lui aussi.


Et c'est là qu'une petite épée bien légère et bien maniable est plus efficace qu'une grosse arme de guerre. C'est dans ce contexte-là que je conçois une épée civile.


En gros ? Le contexte du I.33 !





A cogiter...
Reinhardt von Rappolstein
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tripat3
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lun. janv. 25, 2010 3:30 pm

C'est à cela que je pensais aussi !
Par pari refertur
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